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Du jugement peut dépendre la carrière de certains chiens. Celle-ci se joue parfois en quelques secondes quand, après avoir analysé la situation, le juge décide du qualificatif et du classement qu’il va attribuer à tel ou tel chien. Quelques-uns ne deviennent jamais champions sans parvenir à faire le dernier CACT qui leur manque alors que sur la dernière ligne de leur carnet, un 1er Excellent sec sans CACT vient une fois de plus s’ajouter aux autres.
Des erreurs, il y en a forcément et elles peuvent rapidement entraîner la polémique voire l’esclandre mais beaucoup plus rarement car la très grande majorité des présentateurs et des juges sait garder le self contrôle de rigueur quand on pratique un sport quel qu’il soit. Des cartons jaunes mais presque jamais de cartons rouges, c’est tout à l’honneur de l’ensemble des intervenants de ce sport et cela mérite d’être souligné.
D’un autre côté, il faut aussi considérer que la plupart des erreurs de classement sont souvent faites de bonne foi, sans intention réelle ou inavouée de pénaliser un concurrent. L’erreur est humaine et fait partie de la règle du jeu… Il faut l’accepter mais elle ne doit pas devenir un paramètre constant du jugement, c’est à la commission d’utilisation d’y veiller et surtout de rechercher les meilleures solutions pour les éviter.
Comment juge-t-on ?
En fait, le jugement est établi après l’analyse de quatre critères : l’allure, le point, la quête et le dressage étant entendu qu’aucune faute technique ne doit être commise avant la fin des quinze minutes réglementaires ce qui entraînerait le fameux coup de trompette éliminatoire. Pour faire simple, l’allure est le galop et la manière typique de chasser de la race. Un setter doit courir et chasser comme un setter sinon il est inintéressant même s’il est très performant face au gibier. Sinon à quoi bon continuer de parler de races de chiens d’arrêt !
Le point c’est l’ensemble du comportement et des attitudes d’un chien avant, pendant et après un arrêt sur un oiseau. Bien entendu, un pointer doit prendre une émanation, arrêter et couler comme un pointer. L’arrêt doit aussi être d’une fermeté absolue car cet atavisme est l’essence même du chien dit d’arrêt. Trop souvent, l’importance de cette qualité essentielle a été oubliée et nombre de chiens qui marchent sur leurs arrêts gagnent alors qu’ils devraient être éliminés sans pitié.
La quête c’est la recherche du gibier. Elle doit être à la fois ordonnée, naturelle, dominatrice et intelligente.
En résumé, je dirai que l’allure permet de juger le chien par rapport à sa race, le point d’évaluer ses qualités naturelles et la quête d’apprécier sa personnalité et son intelligence.
Avec ces quatre critères en mémoire, la plupart des juges parviennent assez facilement à attribuer un qualificatif à chaque chien.
Là où les choses se compliquent c’est quand il faut établir un classement définitif avec un premier prix CACT ouvrant droit ou complétant un championnat de travail. Il s’agit bien d’un concours et il faut désigner un gagnant.
En effet, les juges sont proposés par les clubs de race et ont forcément des affinités plus ou moins prononcées avec telle ou telle race qu’ils affectionnent plus particulièrement… Du moins, on les soupçonne parfois de les avoir…Un présentateur de bretons est toujours un peu méfiant à l’égard d’un juge grand amateur de braques… et toutes les combinaisons sont possibles avec comme coefficient multiplicateur le fait que certain juges sont considérés comme des juges de continentaux, d’autres comme des juges de britanniques, d’autres encore comme des juges de couple et distinction suprême, il y a les juges de grande quête. Ce qui est d’ailleurs amusant c’est que les juges eux-même se différencient et se hiérarchisent ainsi par race ou par type d’épreuve.
L’autre facteur qu’il faut prendre en considération c’est que le juge est avant tout un bénévole. Un chasseur surtout amateur de bons chiens au point de leur consacrer de nombreuses journées dans l’année pour aller évaluer leurs qualités et leurs aptitudes sur le terrain.
Aujourd’hui, 95% des chiens sont présentés par des pros et les 5% restants le sont par des amateurs confirmés qui entraînent seuls leurs chiens avec des dizaines d’années de pratique derrière eux ou par des propriétaires qui les font préparer par des dresseurs pour les présenter eux-mêmes ensuite. Ce bénévole, en principe amoureux du grand chien se retrouve donc face à une majorité de dresseurs expérimentés.
Il doit obligatoirement avoir une attitude très professionnelle face à des personnes dont présenter en field est le métier et qui sont dans les champs derrière leurs chiens du 1er janvier au 31 décembre (exception faite de la fameuse période du 15 avril au 30 juin où il est interdit d’entraîner en terrain ouvert, ce qui est une situation unique en Europe mais c’est un autre débat…).
Quand un dresseur présente une batterie de 7 ou 8 chiens à un juge, il connaît parfaitement ses chiens et leur valeur les uns par rapport aux autres et, dans cette situation, c’est le juge qui est jugé car le dresseur peut facilement contrôler et évaluer ses connaissances. Difficile parfois dans ces conditions, de prendre des décisions qui déplaisent et de résister à la pression de certains présentateurs mais être juge c’est aussi gagner le respect des concurrents par la justesse, l’objectivité et la constance de ses jugements.
Des épreuves nombreuses et variées
Plus compliquée encore, c’est la nature des épreuves : on ne juge pas le gibier tiré comme la bécasse et encore moins comme le printemps. Certains grands juges ont acquis leurs galons en plaine derrière les perdreaux et les choses leur paraissent naturelles. Ces juges confirmés évitent de vous conduire dans des escourgeons de 20 cm de haut comme si c’était du blé sachant très bien que les perdreaux n’y sont jamais, sauf s’ils s’y remisent… Quand bien même, ils sont de toute façon imprenables.
Parfois, les champs ont été traités la veille ou le jour même du concours, ils s’en rendent compte tout de suite et vous changent immédiatement de terrain : la valeur de l’épreuve est faussée et l’intégrité physique des chiens et des hommes est menacée. Bravo à eux !Certains matins froids, plutôt que d’attaquer leur terrain plein champs, ils préfèrent inspecter les bords de village ou de ferme pour trouver les perdreaux et éviter ainsi les parcours sans occasions.
Le vent a aussi une grande importance. Selon sa direction le comportement des chiens et des oiseaux sur le terrain sera totalement différent : leur appréciation des parcours aussi. Un parcours sur un terrain morcelé entrecoupé de haies ou de bordures de bois avec des perdreaux sur l’œil, à l’abri du vent et des lièvres prêts à déguerpir au bois à la moindre alerte n’a pas le même impact que 200m de chaque côté sur un tapis vert avec un point remonté à la 12 ème minute.
Seul un vrai chasseur sera en mesure de l’apprécier à sa juste valeur et de le préférer à un parcours classique de CACT. Dans ces situations difficiles, les juges inexpérimentés ou fraîchement nommés se retranchent derrière le règlement et l’appliquent à la lettre, ce dont ne sont pas dupes les présentateurs. Ce formalisme prudent les rend assez nerveux surtout quand ils tombent régulièrement sur les mêmes noms chaque matin.
Pour la grande quête, c’est encore autre chose car c’est vraiment le grand parcours classique qui doit être récompensé : c’est un autre monde que les juges de quête de chasse ne doivent pas chercher à copier.
Le bon juge
Bref autant de connaissances et d’expériences que la majorité des juges acquiert auprès de leurs collègues formateurs puis grâce à la pratique et à leur sens personnel de l’observation qui doit être exacerbé. Il faut aussi noter que beaucoup de juges ont commencé comme simple présentateurs et qu’ils sont donc plus à même de comprendre les subtilités de dressage ou de s’expliquer les différents comportements des chiens.
D’autres encore ont été clients de dresseurs professionnels et ont passé du temps en plaine avec eux, profitant ainsi de leurs commentaires et de leur expérience. A ce propos, j’ai souvent remarqué que certains anciens présentateurs confirmés, amateurs ou professionnels d’ailleurs sont souvent plus sévères et intransigeants que les autres quand ils se retrouvent juges… Qui aime bien, châtie bien sans doute !L’autre grand désagrément quand on présente un chien est de se voir attribuer un 1er excellent sec.
J’ai déjà évoqué ce sujet mais c’est d’une telle injustice qu’il me paraît encore utile de le souligner. Un premier excellent sec, c’est un premier excellent sans CACT. Le juge vous classe excellent et premier de sa série mais il ne vous décerne pas le CACT. Quand vous demandez des explications, elles sont toujours évasives et peu convaincantes pour le présentateur !
Le fait du prince !!! Si le premier excellent de la série n’obtient pas la CACT, alors autant lui mettre un premier très bon et les choses seraient ainsi très claires, sans équivoque mais dans ce cas aucun juge ne le ferait car il faudrait alors expliquer aux suivants pourquoi ils ont un 2ème TB, 3ème TB, etc.. et pas d’excellent… Je milite contre ce premier excellent sec car il y a des habitués de ce genre de classement comme si donner un CACT leur arrachait le cœur ! La plupart du temps, c’est le chien qui est pénalisé. Le présentateur fera d’autres CACT et le juge n’en sort jamais grandi.
Un bon juge c’est un peu comme du bon vin, il faut du temps mais il y a aussi des vins nouveaux qui surpassent de temps en temps les grands crus.
Chaque saison amène aussi des subtilités de jugement qui sont parfois discutables. Mais elles ont l’attrait de la nouveauté et finissent par s’effriter au fil des concours quand elles n’ont pas une réelle justification. Souvent, il s’agit donc d’une mode passagère. Certaines années, j’ai remarqué que beaucoup de juges faisaient une fixation sur l’envol des perdreaux dans l’axe du chien.
Fixation car certains prennent le mot axe au pied de la lettre sans tenir compte qu’il s’agit plutôt d’un cône (celui de l’émanation) et parfois sans se préoccuper du sens du vent qui peut être de trois quart à l’endroit exact ou le chien arrête. Qui plus est, lorsqu’un chien est en arrêt à plus de 200 m de son conducteur, voire à 800 m en grande quête et que celui-ci met un certain temps pour aller le servir, on peut accepter un léger décalage de l’envol.
Ce n’est infamant ni pour le chien, ni pour le juge : Après 5 minutes d’attente, les perdreaux eux, ont tout de même le droit de bouger légèrement, ce ne sont pas des faisans posés. Certains pointers arrêtent dans la position où ils se trouvent, sans même tourner la tête vers l’émanation tellement leur arrêt est ferme et brutal. Ils se contentent de capter celle-ci par où elle leur arrive sans plus oser bouger le moindre muscle, c’est-à-dire sur le côté quand le vent est de trois quart.
De loin, le chien semble arrêter dans une direction et les perdreaux décoller dans une autre : il n’en est rien, au contraire c’est un grand point en parfait style pointer avec une immobilité sur l’émanation exemplaire. Difficile à apprécier et à admettre pour certain settermen mais c’est la vérité du pointer. D’autres années, les juges insistaient sur un coulé avec le conducteur derrière le chien et non pas sur le côté… Tous les chasseurs de perdreaux savent qu’il ne faut pas hésiter à se décaler de quelques mètres sur le côté du chien en train de couler pour faire voler des oiseaux piéteurs.
Si vous restez derrière le cul de votre chien, ils préfèrent continuer de courir dans la roue de tracteur et vous ne validerez pas votre point. Aujourd’hui, en grande quête, on déclasse le setter qui s’aplatit au sol, couché, et on lui préfère l’arrêt semi fléchi des antérieurs, en grand style setter. Cela va dans le sens de l’amélioration de la race et de la finesse du dressage. Bravo encore. La mode s’applique aussi au parcours lui-même mais cela dure beaucoup plus longtemps, cela devient une tendance.
La tendance de ces dix dernières années étaient à une quête très méthodique, sans aucune prise de risque, alliée à une technique irréprochable. Ce style de présentation en imposait aux juges qui admiraient plus encore l’habileté technique de certains dresseurs que les qualités naturelles de leurs élèves.
La tendance semblait s’être s’inversée puisque la plupart des présentateurs sont des professionnels capables d’obtenir ce niveau technique, certains juges cherchaient donc d’autres critères pour départager les chiens : la prise de risque, l’ouverture, la passion de la chasse, l’inspiration face au terrain. Mais, aujourd’hui et particulièrement en grande quête, on est finalement revenu à des parcours très académiques… De grands lacets droits de chaque côté avec une ouverture et
Certains pointers arrêtent dans la position où ils se trouvent, sans même tourner la tête vers l’émanation une profondeur limitée… Dans certains cas, ce sont presque des parcours de classiques, disciplines qu’affectionnent les italiens…
Là encore l’influence italienne prend le dessus mais c’est surtout la disparition des circuits des grands dresseurs italiens comme Gino Botto et la prise de pouvoir de dresseurs comme Pesota (élève de classiques, disciplines qu’affectionnent les italiens…
Là encore l’influence italienne prend le dessus mais c’est surtout la disparition des circuits des grands dresseurs italiens comme Gino Botto et la prise de pouvoir de dresseurs comme Pesota (élève de Scipioni) qui ont définitivement assis la domination de la technique sur le naturel. C’est à mon sens très dommage aussi bien pour le spectacle que pour l’amélioration des races…
Le juge préféré des dresseurs c’est sans doute le découvreur de chien, celui qui repère immédiatement le champion en herbe, même s’il est encore un inconnu. Il est fier de l’envoyer à son premier barrage, il a fait son boulot : il a trouvé le meilleur, celui avec qui il aimerait aller à la chasse.
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