En ce moment et sur les conseils de ses coactionnaires, il fait une fixette sur le Setter anglais. Pour la bécasse, c’est le top lui ont-ils démontré. Enfin, c’est ce qu’il prétend. Par relations, il a déniché une excellente lignée à l’autre bout de la France. Il sait bien que les oiseaux rares ne se tiennent pas à portée de main. Et puis qu’importe, les voyages entretiennent la jeunesse. Le nouvel arrivant n’est pas n’importe qui : un pédigree long comme le bras, titulaire du TAN et débourré par son ancien propriétaire lui-même éleveur-dresseur.
Marcel est confiant, pas de raison que ça ne marche pas, hein ? Et puis comme il est un homme pressé et entreprenant, il décide de le mettre en stage trois ou quatre semaines chez le dresseur local, histoire d’avoir un compagnon parfaitement opérationnel pour l’ouverture. Pourtant le jour J, les premières heures sont mouvementées et il commence à douter : « Bordel, mais l’est complètement fou ce chien, l’se barre aux cinq cents diables. Pis appelle ou appelle pas, c’est pareil. » Mais Marcel a de l’expérience, cet après-midi il va lui passer au cou ce bijou technologique dernier cri : le collier-trique.
Pareil au moment de monter dans la voiture à midi, que d’hésitations…! Un bon coup de pied dans le cul… non mais… c’est qui le patron ? Marcel est comme ça, il sait ce qu’il veut et sait y mettre les moyens. Sur le chien il en connait un rayon bien évidemment, depuis le temps qu’il potasse le sujet dans ses nombreux magazines de chasse. Pourtant au bout de quelques dimanches de sorties, le contrôle lui échappe de plus en plus.
Marshal semble troublé à chaque coup de fusil. Quand il se décide à chasser, c’est plus souvent avec les autres qu’avec Marcel. Oui, il ne comprend pas, il a tout de même soixante saisons cynégétiques au compteur et il en a vu d’autres… de chiens ! Il va devoir probablement retraverser la France pour le ramener d’où il vient cet énergumène. L’éleveur a son frère à lui proposer en échange, lequel est au top parait-il ! L’espoir fait vivre non ?
Son ami Emile est quant à lui célibataire retraité. Sa dernière recrue ? Une petite femelle Epagneul breton négociée on ne sait trop comment dans les recoins d’une cave auprès d’un de ses amis. Sans bourse délier en tout cas car à l’entendre « Y’é jamais mis un sou dans un chien, pis olé pas aujourd’hui qu’y va commencer… de toute façon, tous ces chiens qu’ils achètent bien cher, le valent rien ». Comprenne qui pourra ! Superstitieux peut-être ? Tartine est de race pure mais n’a pas de papiers : « elle n’en a pas besoin, elle sait pas lire », ajoute-t-il malicieusement.
Comme tous les autres chiens qu’il a eut par le passé, elle va l’accompagner souvent dans sa vieille 4L. Cette vie d’itinérance en camping-car canin à découvrir la campagne environnante devrait lui réussir à merveille. Il use de drôles de méthodes cet Emile. Un jour je l’ai vu sortir de sa poche un grand mouchoir à carreaux, cracher généreusement en plein milieu, le nouer de façon à en faire une petite pelote, et lancer ça à quelques mètres de sa Tartine.
En quelques bonds, comme un chat sur sa souris, elle s’en saisit, revint s’asseoir aux pieds de son maitre en attendant qu’il lui reprenne. Il lui fait la conversation aussi, comme si ça pouvait comprendre notre langage un chien. Non mais des fois ! Même l’abbé GODARD* y perdrait son latin avec ces manières. Quoi qu’il en soit, le courant passe à merveille. N’ayant pas de femme à caresser, c’est Tartine qui se fait cajoler. C’est qu’il adore lui gratouiller les plis de la gorge, ou encore la base des oreilles, lui faire des bisous sur le museau… Mais bon, je m’égare là.
Quel rapport avec la chasse ? Aucun ! Pourtant au cours des pérégrinations de son patron, très vite la petite protégée va montrer de belles aptitudes. Emile lui laisse beaucoup de liberté, lui parle peu lorsqu’elle travaille, n’a d’yeux que pour sa chienne. Elle n’a pas fréquenté l’école mais apprend vite. Elle est, comment dit-on déjà ? … Autodidacte ! Emile lui offre le terrain, et elle… apprend dessus. Les premiers arrêts arrivent très rapidement. Le rapport est parfait. Elle adore retrouver sa couverture de laine à l’arrière de la 4L. D’ailleurs son maitre a une petite faiblesse, il lui dépose toujours sa gourmandise préférée, comme tout salaire mérité d’un travail bien fait.
Marcel lui, en viendrait à jalouser la baraka qui colle à la peau de son ami. D’ailleurs ne lui disait-il pas il y a peu « Mimile, t’as encore une sacrée bonne chienne, et pis j’sais pas comment tu fais pour avoir des chiens qui se dressent toujours tout seul. T’as vraiment le cul bordé de nouilles ». Comme prévu, Marcel a remplacé Marshal par son frère Mistral, mais aux dernières nouvelles il ne vaudrait guère mieux. C’est un véritable ouragan bien difficile à contrôler, toujours prêt à déchiqueter quelques poules du voisinage. Ne parlons pas du rapport.
Pour saisir l’oiseau en gueule il est champion, mais pour la remise au patron, c’est une autre paire de manches. Pourtant Marcel ne ménage pas sa peine pour garder le contact, en lui courant derrière, avec l’obstination du dresseur qui ne lâche rien. C’est donc : Mistraaal, Mistraaal qu’on l’entend brailler désormais. Essoufflé par l’effort, les appels, l’âge, il n’en peut plus. Non ça ne peut plus durer. Il n’a point de temps à perdre avec un cabot pareil. Aux dernières nouvelles il voulait le donner. Mais il se demande souvent quelle mauvaise étoile lui porte une telle guigne avec les chiens.
Aimer la chasse ne signifie pas pour autant : avoir la fibre cynophile. Une lacune qui peut s’avérer un réel handicap dans une vie de Nemrod. De ces deux expériences, point question d’imiter Emile, et encore moins Marcel. Mais elles illustrent chacune à leur manière ce que certains auteurs ont su si bien résumer en une seule phrase : il n’y a pas de mauvais chiens, juste des maîtres qui s’y prennent mal. L’erreur majeure est de se persuader qu’il suffit d’éduquer exclusivement… le chien.
*L’abbé GODARD : auteur du livre « Je dresse mon chien d’arrêt »
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