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Ce phénomène naturel est encore entouré de mystères et maintes fois étudié par les plus grands maitres de la vénerie, il reste une énigme qui ne sera probablement jamais entièrement résolue…
Elle est en fait ce qui donne ce côté magique à l’exercice de la chasse aux chiens courants. La voie est l’odeur laissée sur le sol par le gibier et qui trahit son passage par la connaissance qu’en ont les chiens.
C’est donc déjà un phénomène abstrait qui ne peut être perçu et jugé qu’en présence de nos meilleurs auxiliaires : les chiens. Leur travail est de déjouer les ruses du gibier et de le poursuivre en criant, soit pour le prendre, soit pour l’amener à passer devant un tireur qui pourra l’abattre.
Dans cette action, la nature de la voie est donc un facteur déterminant qui va conditionner en grande partie le succès d’une chasse. Mais en partie seulement car Dame la voie a souvent bon dos pour servir d’excuse lorsque la chasse n’a pas marché. Pour citer des mots de veneurs, la mauvaise voie ne serait que « la mauvaise excuse des mauvais veneurs ».
En effet, comment expliquer que sur le même territoire, certains équipages ne prennent que de temps en temps alors que d’autres le font régulièrement ? Tenter d’éclaircir ce phénomène plein de mystères revient à faire l’analyse de deux points de vue qui, en fait, sont complémentaires : le côté empirique qui s’appuie donc sur l’expérience et l’observation et le côté scientifique.
Du côté de la science
La première tentative d’étudier le phénomène de la voie d’un point de vue purement scientifique a été réalisée par M. Pollard dans un ouvrage intitulé « les mystères de la voie » et publié en 1933. M. Pollard avait tenté de mesurer la qualité de la voie à l’aide d’un instrument de son invention qu’il avait appelé « un sentomètre ».
En l’absence d’unités de voie, il avait imaginé une graduation en « centivoies ». Lorsque le résultat donné par son instrument indiquait un niveau en dessous de 5 centivoies, cela signifiait une absence totale de voie.
Cet appareil était conçu à partir de différentes données et observations parmi lesquelles on trouvait la composition de l’odeur du renard formée de l’indole associé au soatol produit par la glande anale, d’acides gras et d’amines (composé organique dérivé de l’ammoniac).
Après avoir avancé sa théorie sur les odeurs des animaux, M.Pollard a étudié l’émission de ces odeurs. Par exemple, au cours d’une chasse, la voie pourra être affectée par la variation de la température et son effet sur l’évaporation.
Si, lors du découplé, l’humidité relative est, par exemple, de l’ordre de 80%, elle peut tomber à 65% deux heures plus tard lorsque le soleil aura réchauffé l’air et inversement en fin de journée, ce qui, nécessairement, va avoir une influence sur la qualité de la voie tout au long de la journée.
D’autres paramètres sont pris en compte et mesurés, comme la température et l’humidité de l’air ainsi que l’ensoleillement, la force et la direction du vent, la couverture des nuages… A chacun d’eux correspond un chiffre et le total donne le nombre de « centivoies » à un moment donné.
Côté veneurs, cette théorie est évidemment bien loin de faire l’unanimité. Pourtant il faut reconnaître que le côté scientifique existe bel et bien et qu’il serait donc probablement possible, mais surement pas souhaitable, de mesurer en théorie le degré d’intensité de la voie en tenant compte de tous les facteurs reconnus comme étant déterminants.
Du côté de l’expérience et du terrain
Prendre des mesures est une chose, prévoir en est une autre. Mais les points communs sur les observations faites par les gens de terrain sont si nombreux qu’il est impossible de nier l’existence de facteurs déterminants concernant le phénomène de la voie.
L’analyse la plus complète pourrait tenir compte de trois éléments essentiels : l’émetteur (l’animal de chasse), le récepteur (le chien) et les agents transmetteurs (les phénomènes qui influencent la voie). Dans son ouvrage « la vénerie à pied », M. Patrick Verro donne une explication sur ces 3 éléments : « Tout animal émet en continu des signaux odorants ainsi déterminés :
- 1- Structurels car liés à l’identité de l’animal (lièvre, chevreuil, renard, sanglier…), à son type (mâle ou femelle) et à sa situation (adulte ou jeune) ;
- 2- Conjoncturels car liés à l’état de l’animal (peur, agressivité, blessure, maladie…) ;
- 3- Cycliques car liés à l’activité sexuelle ;
- 4- Réactifs car liés à des réflexes comme le léchage ou la tétée ».
Le sentiment laissé par le gibier et qui émane de son corps, de ses pieds, de sa respiration, sera d’autant plus fort que la qualité de la voie sera meilleure, ce qui dépend de ce que M. Verro appelle « les agents transmetteurs ». On sait que plus la température de l’air se rapproche de celle du sol, meilleure est la voie.
La pression atmosphérique, le temps qu’il fait, la température, la nature du terrain, la végétation, l’ensoleillement, le vent, sont autant d’agents qui exercent une influence. La complexité réside dans la relation entre les différents critères pouvant eux même changer d’intensité à tout moment.
Il faudrait donc tenir compte de l’association de tous les facteurs dans l’accomplissement d’une fonction. Les veneurs font cependant la différence entre une voie d’air (atmosphère) et une voie de contact (sol, végétation) qui est généralement plus persistante. Preuve en est lorsque certaines chasses marchent bien au bois et sont « cassées » dès le débucher dans un labour par exemple.
Une leçon de Nature
Rien n’est établi à l’avance et si le dicton « vent du Nord, chiens dehors » s’avère en principe exact, ce n’est pas pour cela que toutes les chasses seront bonnes par vent du Nord. Les extrêmes sont toujours mauvais, dans un sens comme dans l’autre.
Ainsi, un froid excessif brise la voie mais une forte chaleur aussi. Une forte pluie lave les effluves, une pluie légère peut être excellente. Par temps de neige, le sentiment d’estompe, surtout si une première couche grasse vient recouvrir les pieds. Mais il arrive de faire de très belles menées sur une vieille neige.
Les fortes gelées (au-delà de -5°) sont très mauvaises. Lorsque le soleil réchauffe le sol vers les 10 heures, il y a des brides de voies excellentes et très localisées, souvent très vite perdues et subitement. Le brouillard est en général très défavorable à cause des nombreuses gouttes d’eau qui le composent.
A la voie, mes beaux !
Le chien, récepteur de voie, possède un flair un million de fois supérieur à celui de l’homme (Dr Rousselet-Blanc) ; de nombreuses expériences ont été réalisées sur les muqueuses olfactives des chiens et leurs relations avec le milieu extérieur. On sait, par exemple, qu’un chien qui a faim a une perception olfactive diminuée.
Les qualités de nez du chien dépendent aussi des origines (qualités des géniteurs) et de la race, d’où l’intérêt du LOF pour suivre les lignées. Le chien et la voie sont indissociables. L’interjection du piqueux qui met sa meute à la voie est éloquente.
Elle allie le savoir-faire, la technique, le rêve et la réalité qui donnent à la chasse cette image à la fois mythique et naturelle, chose qui ne peut pas être procurée par une carabine ou un fusil ! Sans le chien, le chasseur n’est rien.
Nos auxiliaires sont irremplaçables, même si parfois ils tombent en défaut. Le défaut est la perte de la voie et peut avoir plusieurs causes. Relever le défaut est aussi l’affaire du piqueur qui doit toujours garder à l’esprit cette règle d’or : ce sont les chiens qui ont le nez.
Règle d’or aussi qui est de ne pas oublier que le chien n’est pas une mécanique et que si parfois il balance, hésite, perd la voie ou forlonge, c’est qu’il y a une foule de raisons qui rendent sa tâche compliquée, voire parfois impossible et qui dépassent les pauvres piqueurs que nous sommes, entre-autres ce fabuleux mystère de la voie.
Une qualité propre aux chiens courants.
Un chien courant qui ne se récrie pas sur la voie n’est pas un chien courant. Les récris font partie des caractères innés. Il est intéressant de noter que dans les épreuves officielles (brevets de chasse), les défauts concernant la gorge font perdre des points de façon considérable, ce qui paraît normal, le but étant de sélectionner les géniteurs.
Il s’agit des « céleurs », des « musards » et des « chiens criant à faux ». Les chiens dits « céleurs »sont ceux qui ont connaissance de la voie sans se récrier. Le « musard » est celui qui crie sans arrêt et de façon décousue et il ne faut pas le confondre avec le chien « chaud » qui lui est très abondant en voix mais bien à la voie.
Le « chien qui donne à faux » est un nuisible pour les autres et pour l’action de chasse car il est hors la voie, ce qui est un grave défaut. L’un des plus grands plaisirs pour un chasseur aux chiens courants est d’entendre donner ses chiens. En vénerie les individualités sont estompées aux dépens de l’ensemble.
C’est la meute qui chasse avec, certes, des individus au service de la communauté. Quel plus bel endroit que la chasse pour permettre à nos courants de s’exprimer et nous remplir de joie ! Car c’est bien là qu’ils s’expriment le mieux et qu’ils retrouvent leur vraie nature.
Un moment toujours intense : le lancé.
La voie est le paramètre sur lequel il faut compter dans toutes les actions de chasse, qu’il s’agisse de la quête qui est la phase de recherche, du rapproché, du lancé ou de la menée. La voix du chien courant s’exprime de différentes manières et prend une intensité particulière au moment du lancé.
Elle peut être comparée à un éclatement ou à une explosion des sons et constitue alors le moment sonore crucial assimilable au crescendo d’une symphonie orchestrale que le chasseur reconnaît entre toutes. Chaque race de chiens courants possède des caractères qui lui sont propres et au sein même de chaque race il y a des individualités de qualités diverses.
Il est bien connu que les chiens du Midi sont plutôt des rapprocheurs amoureux de la voie alors que les Griffons sont plus impétueux, actifs et débrouillards. Ces derniers sont passés maîtres pour savoir, au moment opportun, renoncer à la voie afin d’explorer les recoins environnants…pour faire partir l’animal ?
Le chien collé à l’excès a souvent plus de mal à devenir un bon lanceur car il a, lui, besoin d’un fil à suivre. Quand on sait que le gibier, surtout dans le cas du lièvre et du sanglier, va se gîter ou se bauger après avoir fait de nombreux retours qui ont pour but d’embrouiller les voies, il est facile de comprendre que le chien chassant uniquement par la voie est dérouté lorsqu’il arrive à cette embrouille.
Il faut avoir, à ce moment- là, assez d’intelligence pour renoncer à la voie et explorer les environs. Si ce que nous appelons « la cinquième patte du chien », c’est à dire son nez, est toujours très appréciable, cette qualité doit être associée à une intelligence suffisante pour, le moment opportun, savoir se détacher de la voie dans le but de lancer l’animal de chasse.
Quels courants bien dans la voie ?
Certains chasseurs s’orientent au gré des opportunités vers des chiens sans race précise. Ces derniers montrent une activité débordante, une curiosité sans pareil.
Ils fouillent tous les recoins avec l’inspiration qui les caractérise. Mais devant une voie même fraîche ils s’emballent et deviennent souvent des sujets de déboires, pas droits dans la poursuite, très moyens de nez, bondissant sur n’importe quel change… Néanmoins ce style de chasse peut plaire à certains.
Mais est-il judicieux de prendre un risque de déconvenue en procédant à de tels essais alors qu’il existe en France une multitude de races de courants bien fixées et aptes à satisfaire les plus exigeants ? Les partisans des croisements de races ont sans doute leurs raisons, de même que les inconditionnels des purs LOF. Ces derniers ont leur outil de sélection que sont les brevets de chasse officiels.
Mais attention ! Les épreuves officielles ne sont pas la chasse et servent uniquement, en principe, à sélectionner les géniteurs. Ceux qui les pratiquent et leurs responsables ont parfois tendance à se considérer comme les détenteurs du savoir.
Les races ont existé avant eux et un chasseur aux chiens courants est à priori capable de sélectionner ce qui lui convient sur le terrain sans avoir besoin de passer par les épreuves qui doivent rester un outil d’aide à la sélection dans l’élevage, pas plus…
Dans toute la gamme des races de courants, il y a de quoi faire son choix. Tous les Griffons, actifs et débrouillards, sont passés maîtres dans l’art du lancé. Des bons compromis existent avec, par exemple, les chiens courants suisses, les Porcelaines ou les Beagles et Beagles Harriers qui ne décevront jamais.
Il est évident qu’un chien réunissant toutes les qualités à l’excellence est très rare et qu’un choix s’impose donc. Ceux qui préfèrent une façon de chasser plus académique s’orientera en priorité vers les chiens du Midi qui sont, dans l’ensemble, des maîtres dans les rapprochés mais moins bons au lancé.
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Quelques états de la voie…
Empaumer la voie : prendre connaissance d’une voie et la suivre avec ardeur.
Mettre à la voie : donner aux chiens la voie d’un animal qui a été vu.
Démêler la voie : tenter de garder la bonne voie au milieu d’autres.
Suraller la voie : passer la voie sans se rabatte, sans la trouver.
Coller à la voie : suivre la voie pied à pied, chasser la voie « entre les jambes ».
Doubler la voie : revenir sur ses pas, parfois plusieurs fois de suite pour mettre les chiens en défaut (à ne pas confondre malgré le point commun) avec une voie chassée qui est une double faite après le passage des chiens).
Rabattre ses voies : l’animal de chasse passe plusieurs fois au même endroit.
Rebattre ses voies : un chien retourne plusieurs fois sur la même voie en criant (c‘est un défaut).
Être à bout de voie : ne plus avoir connaissance de la voie.
Voie de bon temps : une voie récente.
Voie du relevé ou voie de hautes erres : voies de la veille ou du soir.
Redresser la voie : relever un défaut.
Outrepasser la voie : s’emporter au-delà de la voie de l’animal de chasse, sur un crochet de celui-ci par exemple.
Langage des courants sur la voie.
D’un chien qui crie bien en action de chasse on dit qu’il a une belle gorge. Le propre d’un chien courant est de poursuivre un gibier en donnant de la voix. Cette qualité est le moyen d’expression vis-à-vis de ses congénères mais aussi du chasseur et s’exprime souvent différemment selon les phases de la chasse que sont le rapproché, le lancé, la menée ou un forlongé.
Les gorges de nos chiens courants sont différentes selon les races et peuvent même varier entre des individus de la même race. On trouve des gorges claires ou sonores, aigües ou graves qui ont souvent été comparées à des instruments de musique. Tambour ou clairon en sont les exemples les plus frappants. L’expression de la voix se fait de façon différente selon qu’il s’agit de cogneurs ou de hurleurs.
Généralement les cogneurs sont plus rapides et plus vifs mais leur gorge est moins puissante que celle des hurleurs qui travaillent la voie plus près du sol. C’est le cas, par exemple, des chiens du Midi, rapprocheurs nés, comme les Bleus de Gascogne, Ariégeois, Gascons Saintongeois qui ont une gorge sonore, grave et abondante, avec des tonalités très particulières et des modulations en cours de chasse.
Le cas du Porcelaine est caractéristique, hurleur à la voie avec un timbre pouvant changer selon les diverses phases de la chasse. Le Saint Hubert lui, a une gorge profonde et grave qui atteint sa plénitude vers l’âge de trois ans. Dans les cogneurs on trouve le chien d’Artois et tous les Griffons en général bien qu’il puisse aussi y avoir des hurleurs.
Un élément transmetteur.
Le langage, propre de l’homme, est un élément transmetteur, par des sons qui expriment divers états, questions, désirs et sentiments. Le « parler » de nos courants s’exprime par leur gorge quand ils sont sur la voie du gibier. Il est différent selon la situation dans laquelle ils se trouvent. C’est ainsi que l’on va simplement les qualifier d’aboiements s’ils sont au chenil mais de « cris » ou de « récris » lorsqu’ils sont en action de chasse.
Par extension, le langage peut aussi englober des gestes et des signes servant à exprimer un besoin, une demande, un état… L’expression bien connue « il ne lui manque que la parole », désigne un chien intelligent, le qualifie et le rapproche de l’humain. Les moyens de s’exprimer par des sons étant très limités chez le chien, celui-ci en emploie d’autres pour se faire comprendre.
Il se sert de ses yeux par des mimiques ou des mouvements particuliers propres à chaque sujet, ce qui fait dire à certains sur le ton de la plaisanterie que le chien, ne pouvant pas parler, est supérieur à l’homme car cela lui évite de raconter des bêtises. L’entente tacite et quasiment silencieuse entre l’homme et son meilleur auxiliaire se manifeste particulièrement bien chez le chien d’arrêt par des gestes, des regards, une remarquable connivence.
Mais chaque chasseur au chien courant a pu également remarquer la connexion et l’osmose présente entre un piqueur et ses valets. L’exemple type est l’expression utilisée en vénerie « à la voie mes beaux », accompagnée du geste mêlant le côté pragmatique et le respect de l’action qui ordonne, aide et encourage. Le concert peut alors éclater et comme disent les Anglais : « the best music in the world ».