Pour ces derniers toute l’énergie est orientée vers l’effort, la vitesse d’exécution, le figement brutal… Et puis, séduire par des prouesses physiques ou esthétiques leur est suffisant. Hormis quelques situations particulières comme indiquer un faisan perché, ou encore d’autres peu orthodoxes comme aboyer à l’envol d’une bécasse ou sur la poursuite d’un lièvre, ils savent rester discrets… et le doivent !
Les courants, eux, sont des loquaces innés. Certains commencent leurs vocalises dès le saut de la remorque : pour rappeler à leur patron qu’ils sont bien là ou pour manifester leur envie d’en découdre. Si ensuite les prémices de la chasse – en l’occurrence la quête – s’effectuent en silence, le premier à se faire entendre auprès de ses congénères ou des traqueurs sera celui qui va croiser le chemin du gibier tant convoité.
L’information donnée est d’importance. Si elle est vraie, c’est toute la meute qui va s’y joindre de concert. Et là, les choses sérieuses commencent. La musique de chorale qui s’élève est celle de ceux qui aiment se donner du courage en chantant. Tels les piroguiers ou les cueilleurs d’Afrique fidèles à l’adage « l’exemple enseigne, la parole entraîne ».
Du work-song, en quelque sorte ! Ce voyage musical dans les campagnes en appelle un autre, imaginaire celui-là. A l’écoute attentive des récris de ses chiens, le maître tente de deviner le scénario qui se joue souvent loin de lui et par conséquent hors de sa vue.
Cette capacité à comprendre ses chiens (et dans le même temps les ruses du gibier) est au cœur même de la passion qui anime tous les chasseurs aux chiens courants. L’expérience est là déterminante. Ce n’est que lorsque la meute est à la peine, qu’elle a besoin d’être encouragée, recadrée, relancée… que le maître à son tour, intervient de la voix en lui adressant les huchements appropriés.
Ces vocalisations au ton très haut et puissant résonnent comme des aboiements humains dont le plus utilisé (et ainsi le plus connu) est sans doute le «Taïaut !» pour signaler la relance de l’animal poursuivi. Excepté ces singularités de communication héritées des anciens veneurs et de leurs équipages, toutes les races se laissent guider par des ordres délivrés sous forme de mots-clés, brefs : «Assis», «Pas bouger», «Au pied», «Derrière»…
Nos amis sont très sensibles au son de la voix, laquelle trahit et transmet nos émotions. Cependant gare aux hurlements tonitruants qui ne sont jamais bon signe et révèlent le plus souvent une autorité mise à mal, tel l’instituteur dépassé par ses écoliers.
Parler pour rien ?
Dans les meutes, il arrive parfois qu’un chien se récrie à tort. Abusés par cette fausse information, les autres par la suite ne porteront plus guère attention à ce qu’il raconte. Il sera vite étiqueté de bavard ou de menteur. En cela la communication entre les hommes obéit aux mêmes réflexes.
Au cours des sorties, rien n’interdit d’échanger quelques mots entre chasseurs, de se prodiguer des conseils, d’échanger des impressions, d’évoquer la belle époque… tant que cela ne perturbe pas le travail des chiens ou ne met pas leur vie en danger.
A propos, j’ai un ami qui ne peut pas s’en empêcher : à chaque fois que je m’apprête à franchir une route dangereuse avec ma meute, il me parle, voire me questionne avec insistance. Ce n’est pas que je refuse de lui répondre, mais… C’est ainsi, les actions de chasse ne souffrent pas la distraction, on peut le payer cash !
On l’aura compris, à la chasse comme dans la vie, pour les chiens comme pour les hommes, parler pour ne rien dire ou mal à propos n’est jamais bon.
Une fois les ordres donnés, les belles actions réalisées, vient le temps des remerciements, des félicitations… Nos compagnons à quatre pattes apprécient ces petits mots adressés avec douceur et bienveillance : «Bon chien, bon chien !», «C’est bien mes valets !»… Rien de tel pour renforcer le lien qui les unit tous les deux.
Mais le plus souvent quand on parle à son chien, c’est qu’il ne fait pas bien. Bien heureux celui qui ne lui dit rien. Voir pareil auxiliaire s’exécuter d’un simple échange de regards, d’un claquement de langue, ou encore d’un simple geste de la main est un plaisir des plus exquis.
Beaucoup peut s’obtenir en silence. N’est-ce pas le miracle de la complicité de n’avoir point besoin de mots pour se comprendre. L’immersion du chasseur et de son compagnon dans cette nature sauvage n’en est que plus discrète et intime à la fois. Animés par une confiance réciproque, attentifs aux moindres faits et gestes de l’autre, ils vivent ensemble, ils chassent ensemble, avec un seul et même souci : se faire plaisir mutuellement tout en s’adonnant à leur loisir favori.
Par envie de découverte, l’acquisition récente d’une chienne Setter anglais me permet de goûter ces moments délicieux. Un brin taiseux de nature l’un et l’autre, aurions-nous donc en commun un faible pour « Les mots bleus » de Christophe (vous savez, ceux qu’on dit avec les yeux…) et ces parties de chasse… SANS PAROLES.